(Ceci n'est pas vraiment la bio d'Aenor mais un simple texte du menestrel qui sommeille en chaque homme quand bien même il fût soldat.)
Aenor s’installa dans un des larges fauteuils de la salle commune. L’endroit était vide à cette heure tardive.
Il avait jeté pêle-mêle quelques buches dans la cheminée, plus pour le plaisir de l’entendre crépiter.
Il accorda comme il pouvait son luth, et sourit. Il n’était pas Ménestrel et cela souvent s’entendait.
Il laissa glisser quelques notes et entama tout bas un air qu’il avait écrit voila déjà quelques temps.
Sous couvert …
De sueur on se croirait forcené
De boue on se penserait enterré
De poussière se trouvant trop âgé
De honte de n’avoir su en profiter
De gloire d’y avoir quand même gouté
De chair d’être héros gavé de fierté
De sang l’on finit toujours par tomber
Et c’est ainsi que …
Couvert de sueur …
A charrier et empiler des monceaux de cadavres,
Qu’ils soient amis ou ennemis tous au teint glabre.
Couvert de la sueur et de l’odeur de la mort,
Jetant sans relâche la chaud vive sur leurs corps.
Couvert de boue …
A marcher sous la pluie dans les champs dévastés,
A trainer sur des landes désertes nos bottes d’acier.
Couvert de cette boue grasse à l’odeur de charnier
Qui vous recouvrait le corps, de la tête aux pieds.
Couvert de poussière …
Dans les décombres fumants des villes brulées,
Avalant les volutes, de charbon, de corps calcinés,
Couvert de la poussière des rêves carbonisés
Que soulevaient, trainant, nos pieds harassés.
Couvert de honte …
Parfois, de n’avoir sur vaincre ou repousser l’ennemi
Souvent, d’avoir du reculer quand trop avaient péris.
Couvert de honte de cette bataille encore perdue,
De remords et de rage de s’être vu vaincu.
Couvert de gloire …
Le front haut et le torse bombé, traverser la ville
D’où nous avions chassé le méchant et le vil.
Couvert de gloire et du regard de ces milles femmes,
Qui sur votre passage hurlent et se pâment.
Couvert de chair …
Au réveil incertain dans un lit moite et chaud,
Sur mon ventre, une femme aux yeux encore clos.
Couvert de sa chair et de la chaleur de ses seins
Je ferme les yeux pour ne pas penser à demain.
Couvert de sang …
Mais je rouvre les yeux et la vérité se fait jour
Un empennage noir sort de mon ventre rouge
Couvert de mon sang qui s’échappe lentement
Comme la vie qui me fuit, irrémédiablement.
Il est las le soldat qui a traversé la guerre sans en comprendre le début et n’en verra pas la fin.
Repu comme une outre de ces sentiments par parquets entassés dans son crâne et débordant de son cœur.
Se rappelant que sa vie fut de jours et de nuits défilant sans arrêt, seulement marquée de quelques jalons qui brillent encore, parfois, certains, d’un éclat lointain sur le chemin sinueux de ses souvenirs.
Il croit encore se rappeler cette couverture tiède que formait le visage de sa mère quand elle plaquait sa joue sur son ventre mou de nouveau né pantelant.
Il sourit a cette vision irréelle et se dit qu’à chaque jour il trouva couverture, qu’elle soit de lin rêche, d’épais et chaud coton ou de douce et soyeuse soie et que lui comme le monde ne vivait que par cet étrange biais, de la naissance ou l’on goute le premier frima jusqu’à la mort certaines qui nous entoure de son manteau de fraicheur, âge par âge et jour après jour nous sommes couvert par tant de choses.
C’est couvert par le souriant regard de son épouse qu’il avait tendu les mains a son fils pour lui apprendre à marcher.
Et encore, se cachant ou courant, se mettre à couvert quand la pluie trop drue venaient les tremper.
Et dans la maison familiale, havre de paix et de chaleur il avait veillé sur les siens comme ils avaient veillés sur lui au couvert de ce toit de chaume qu’il avait monté de ses mains.
Aujourd’hui il tirait sa dernière couverture comme l’acteur enfin seul dans une salle peuplée d’ombres tirerait le rideau, saluant encore, une ultime fois, un public déjà parti vers d’autres abords.
Sueur, gloire ou poussière l’avaient tour a tour recouvert. Et voila que c’était au carmin que finissait le chemin.
Il regarda encore une fois l’empennage noir qui ornait son poitrail, comme un arbrisseau pointant vers le ciel un feuillage nouveau dans une terre fertile de chair et s’abreuvant de la vie puisée à son cœur.
Il sentait sous ses doigts, allongée dans l’herbe à son côté, le pommeau de l’épée qui l’avait si souvent sauvée. Il aurait aimé la prendre une dernière fois et la brandir bien haut … pour étêter l’arbrisseau.
Il inspira une dernière fois et un fin sourire se dessina sur ses lèvres exsangues et séchées.
La nuit venait d’arriver. Eternelle amante fidèle vers son chevalier, elle tirait son manteau de nuitée et d’étoiles argentées.
Il serait couvert ce soir d’une nuit sombre et belle.
Il égrena doucement les dernières notes puis reposa le luth le long du fauteuil de cuir avant de s'abimer dans la contemplation des dernières flammes épuisées de l'âtre
Poisson d'avril !